Jouer avec les mots… Tentation classique des communicants qui pensent ainsi surprendre, amuser et marquer les esprits. 

Mais est-ce une si bonne tactique que ça ? Ce que j’ai vu récemment m’a laissée « sur ma faim » !

Lorsque j’ai vu cette campagne pour la 1ère fois, j’étais en voiture. Normal, puisqu’elle a prioritairement été communiquée en abribus.

Mon oeil a d’abord été attiré par le slogan, puis j’ai vu le fruit abimé. Etonnamment, j’ai d’abord pensé à une publicité pour la sécurité routière ou pour les maux du transport.

Après Karl Lagerfeld en canari, le légume pourri… pourquoi pas ! Ou bien pour vendre des traitements pour se sentir bien dans son assiette, autrement dit ne pas être malade, ça pouvait coller aussi.

Dans ce cas, le visuel aurait été métaphorique et le slogan réaliste. Mais il se trouve que c’était l’inverse. Le souci c’est que mon cerveau a d’abord enregistré le texte, puis a cherché une illustration avec l’image.

Bref, ce n’est qu’après plusieurs passages, et en découvrant d’autres légumes, que j’ai noté qu’il ne s’agissait pas du tout de ça. J’étais devant une incitation à consommer local.

Ce n’était donc pas une image pour un pauvre passager nauséeux qui était exprimée dans cette affiche, mais bien la récolte du paysan, fatiguée de venir de loin.

Alors vu comme ça, on pouvait se dire que ce n’était pas bête. Le message prend son sens « Moins un légume voyage, plus il est consommé proche de sa récolte (en unité de lieu et donc de temps) plus frais et meilleur il sera. »

Pour autant, de mon point de vue, la cible est loupée pour plusieurs raisons. Et c’est le risque de jouer sur les expressions et d’espérer que le consommateur soit immédiatement au 2nd degré.

Pourquoi ça coince ?

D’une part, il est facile de trouver des contre-arguments au contenu même de la promesse.

Les camions sont réfrigérés, les fruits et légumes bien rangés. Ce n’est donc pas nécessairement le transport qui va les gâter.

A la limite le message porterait sur la qualité gustative du fruit, celui étant cueilli à la bonne maturité, ce serait moins discutable.

Bref, sur ce 1er point le lien message, photo, promesse manque de justesse.

Le principe de montrer un fruit avarié, même s’il est bourré de bonnes intentions, n’est pas vendeur.

C’est comme ces photos atroces sur les paquets de cigarettes pour décourager les fumeurs. Ca ne marche pas. Pourquoi ? Parce que si l’on a envie ou besoin de quelque chose, même si on sait que c’est mauvais (pour la santé par exemple) on le fera quand même.

Bref, vouloir culpabiliser les gens quand le geste leur apporte du plaisir (peut-être ici la praticité du supermarché, le coût du produit..) c’est contre-productif.

Quand on entre dans le détail, ça se corse.

Toute la partie haute de l’affiche présume d’un bénéfice pour le consommateur, manger mieux. Mais en réalité, l’objectif est de protéger les producteurs. Bref, ce n’est pas totalement cohérent.

Le bas d’affiche amène un nouveau message #souverainetealimentaire. C’est un programme lancé en 1996 qui permet d’adapter la politique agricole, prône le local et conduit à une agriculture durable. 

Bref, c’est une bonne référence, mais là encore, les producteurs de la région sont-ils tous engagés dans une agriculture durable ?

Mais il y a du bon !

Surprise

Lorsque j'ai vu la 1ère affiche, je l'ai trouvée un peu trash sans la comprendre. Puis voyant d'autres légumes aussi mal en point, j'ai eu envie de comprendre et j'ai pris le temps de tout lire. Pari réussi !

Mémorisation

La phrase "On n'est jamais bien dans son assiette" était impactante. Son traitement graphique la rend implacable. Seul le fuit changeant d'une affiche à une autre, on retient et la campagne et le slogan. Pari réussi !

Action

Le message est impliquant à double titre car il touche à l'engagement sociétal et environnemental. Il engage au mieux vivre, du producteur au consommateur. Et il replace la campagne dans un mouvement européen. Donc Go ! Pari réussi

Pour autant, je continue de croire que le jeu de mots en publicité est un faux ami. Il est séduisant car il donne un côté léger et peut faire passer des messages « graves » de manière plus facile, plus digeste (encore qu’ici, ce n’est pas le cas de le dire !!)

Nombreux s’y risquent, mais peu réussissent car il y a, à mon sens, quelques règles à respecter pour que ça fonctionne.

1 – On mémorise avant tout le jeu de mots. Aussi il doit porter le message en lui même de manière suffisamment explicite pour ne pas avoir à chercher.

2 – On peut facilement comprendre un jeu de mots si l’ensemble de la création graphique l’accompagne. Le visuel doit faciliter le cheminement intellectuel entre le jeu de mot et la cible souhaitée.

3 – Enfin, on peut se poser la question de l’utilisation de l’humour pour un message aussi engageant. N’aurait-on pas intérêt à rester plus « terre à terre » (si j’ai encore osé le jeu de mots) C’est en tous cas le choix qu’ont fait ces annonceurs et cela fonctionne un peu mieux.

Trois campagnes, des phrases simples à comprendre et trois messages différents directement induits dans le slogan : consommer local, consommer au bon moment, consommer naturel. Bien sûr, on pourrait trouver à redire sur chacune, mais une chose est sûre, l’objectif premier est atteint dès la 1ère lecture et le visuel (sauf sur la pomme) n’est pas un frein à la compréhension.

Alors avant de vous lancer dans les jeux de mots à la Maitre Cappello (vieille référence, mais référence s’il en est !) réfléchissez à deux fois.